dimanche 11 juin 2017

Le flou

"Ce flou était-il évitable? Le sens, dans une phrase, se donne de façon séquentielle. La séquence dispose des mots; elle indique entre eux des trajets syntaxiques et des affinités sémantiques. Cette composition, qui rythme l'apparition, ne relève qu'en partie de la grammaire et de la logique. Car le sens, du moins en littérature, appelle à sentir autant qu'à comprendre. Il fait voir et il touche; il réagit. Il n'a ni la validité d'un syllogisme ni la valeur de vérité d'une proposition, pas même la substance d'un contenu. Dans les parages de la signification dominante des mots, il fait tache, il s'écoule et s'étend. Il se produit, éventuellement il se traduit dans d'autres langues, mais il ne peut se dire. Après qu'on a lu la moindre phrase d'un roman, son sens continue de frémir, de se déformer, de vibre, et c'est en vain qu'on tenterait d'en clore le contour. (Il n'existe pas de paraphrase.) Car on a joué sur la tension du sens, on a pincé la corde pour faire entendre les harmoniques. L'effet global demeure essentiellement instable, des ondulations le traversent. Où le sens est vivant, le flou est nécessaire."

Pierre Alferi, Chercher une phrase, Christian Bourgois, coll. "titre", 42, 2007, IV

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