samedi 19 août 2017

Idée du rêve (Binswanger)

"Mais on voit que, si cette interprétation est exacte, le sujet du rêve n'est pas tant le personnage qui dit 'je' (dans le cas occurrent, une promeneuse qui arpente les bords interminables d'une plage), mais c'est en réalité le rêve tout entier, avec l'ensemble de son contenu onirique ; la malade qui rêve est bien le personnage angoissé, mais c'est aussi la mer, mais c'est aussi l'homme qui déploie son filet mortel, mais c'est aussi, et surtout, ce monde d'abord en vacarme, puis frappé d'immobilité et de mort, qui revient finalement au mouvement allègre de la vie. Le sujet du rêve ou la première personne onirique, c'est le rêve lui-même, c'est le rêve tout entier. Dans le rêve, tout dit 'je', même les objets et les bêtes, même l'espace vide, même les choses lointaines et étranges, qui en peuplent la fantasmagorie. Le rêve, c'est l'existence se creusant en espace désert, se brisant en chaos, éclatant en vacarme, se prenant, bête ne respirant plus qu'à peine, dans les filets de la mort. Le rêve, c'est le monde à l'aube de son premier éclatement quand il est encore l'existence elle-même et qu'il n'est pas déjà l'univers de l'objectivité. Rêver n'est pas une autre façon de faire l'expérience d'un autre monde, c'est pour le sujet la manière radicale de faire l'expérience de son monde, et si cette manière est à ce point radicale, c'est que l'existence ne s'y annonce pas comme étant le monde. Le rêve se situe à ce moment ultime où l'existence est encore son monde, aussitôt au-delà, dès l'aurore de l'éveil, déjà elle n'est plus." 

(Michel Foucault introduisant Le rêve et l'existence de Ludwig Binswanger, in Dits et écrits, Gallimard Quarto, tome 1).

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